C’est tout le Gotha de la création d’aujourd’hui qui s’engouffrait dans la salle Cortot pour le concert d’ouverture de Court-Circuit qui revêtait une allure toute particulière !
Au programme de la soirée s’inscrivait en première partie le cycle des Traits de Philippe Hurel, trois pièces en solo et duo de cordes dont c’était la première audition intégrale. Etaient invités, sur la scène de la salle Cortot, deux solistes de Court-Circuit, la violoniste Alexandra Greffin-Klein et le violoncelliste Alexis Descharmes qui débutait le concert.
Pierre d’angle du répertoire violoncellistique contemporain, D’un trait pour violoncelle solo a été écrit en 2007 pour Alexis Descharmes et la virtuosité transcendantale de cet artiste hors norme. L’écriture très exigeante de cette pièce d’une bonne douzaine de minutes génère une exploration inouïe du spectre sonore offert par l’instrument dont on entend à plusieurs reprises résonner la corde à vide du do grave. Hurel met à l’oeuvre les techniques de jeu les plus variées pour travailler une matière sonore toujours en fusion et faire varier ses registres et ses couleurs à l’infini, tout en maintenant la fulgurance du trait… exception faite d’un bref épisode au centre de l’oeuvre où le jeu dans l’effleurement fait naître une matière beaucoup plus transparente où règnent les harmoniques.
Avec une intelligence du texte et du geste, et une frénésie de l’archet spectaculaire, qui fait parfois « hurler » le violoncelle, Alexis Descharmes gorge d’énergie cette trajectoire qui lamine l’espace et impose d’autorité une écoute captive et totalement suspendue au devenir du son.
A la faveur d’un habile fondu-enchaîné, Alexandra Greffin-Klein montait sur scène alors que le violoncelle résonnait encore, pour donner en création mondiale Trait, une pièce sensiblement plus courte mais cousine de la première en matière de vitalité sonore et de puissance énergétique. L’oeuvre semble naître d’une brève figure en glissando dépressif, qui va nourrir un long processus de développement, favorisant la mobilité extrême du geste et l’aller-retour du son pur à la saturation la plus sèche. Si le violon n’offre pas le même champ de résonance que le violoncelle, il suscite de la part du compositeur un travail d’autant plus fin sur la ciselure du trait et la granulation du son. Avec une maîtrise sidérante de l’archet et une projection du son constamment entretenue, la prestation de la violoniste laisse l’auditeur sans voix.
Un même tuilage était opéré entre sonorités de violon et de violoncelle, les deux instruments se réunissant à présent dans Trait d’union, la troisième et dernière pièce du cycle. Le ton est donné dès les premières mesures où violon et violoncelle s’épaulent pour décrire une trajectoire en fusée, accusant le mouvement de chute par un formidable glissando, sorte de signature timbrale de toute la pièce. Si l’énergie du geste semble ici décuplé par les assauts furioso des deux archets soumis à l’action de différents processus, Hurel ménage des plages plus immobiles où les sonorités fusionnent ou se diffractent, provoquant des effets de moirure très étonnants. Infatigables et merveilleusement complices, ces deux interprètes de haut vol transcendaient l’écriture et donnaient à cette musique d’action sa dimension jubilatoire.
Le 30 septembre 2014