Paris, Conservatoire à rayonnement régional, salle Landowski, vendredi 6 septembre 2013
C’est dans un climat d’intense émotion que s’est ouverte vendredi 6 septembre la saison musicale parisienne 2013-2014, placée une fois n’est pas coutume sous le signe de la création. Présenté par le remarquable Ensemble Court-Circuit – ses musiciens sont d’une virtuosité à toute épreuve, réalisant infatigablement des sans fautes, galvanisant des sonorités charnelles et somptueusement colorées -, avec le soutien des Instituts Mickiewicz et Polonais de Paris, ce concert gratuit, dédié à la mémoire du compositeur colombien Luis Fernando Rizo-Salom disparu accidentellement le 24 juillet dernier a attiré la foule des grands jours entourée de nombreux compositeurs et interprètes, alléchée par la variété et la densité du programme, qui comptait notamment une première exécution mondiale.
C’est sur l’ultime œuvre achevée de Luis Fernando Rizo-Salom que Court-Circuit a créée en juin dernier dans le cadre du Festival ManiFeste de l’IRCAM que s’est ouverte la soirée. Quatre pantomimes pour six pour flûte, clarinette, cor et trio à cordes est apparu plus forte et dense que lors de sa création, la séduction plus immédiate encore tandis que les musiciens, qui en ont naturellement assimilé les traits et la vélocité tant instrumentale que rythmique, ont mis en exergue les singularités de la partition, la maîtrise de l’écriture, la richesse de l’inspiration, la volubilité des timbres, le plaisir des sons qui disent combien la perte du jeune compositeur colombien est irréparable.
Une pièce aussi passionnante d’un jeune quadragénaire emporté en plein épanouissement par le destin que celle qui allait conclure le concert, signée cette fois du plus grand compositeur polonais de l’Histoire disparu en 1994, Witold Lutoslawski, fondateur de l’un des principaux festivals de musique contemporaine au monde, Automne de Varsovie, et qui aurait eu cent ans cette année. Composé voilà tout juste trente ans pour orchestre de chambre de quatorze instrumentistes (bois, cuivres et percussion par un, clavecin et quintette à cordes avec contrebasse), Chain 1 et le premier volet du triptyque Łańcuch(Chaîne) conçu entre 1983 et 1986, le deuxième étant pour violon et orchestre et le dernier pour orchestre.
Un titre qui se réfère à la façon dont la musique se structure à partir de segments plus ou moins contrastés qui se chevauchent tels les maillons d’une chaîne. Il s’agit d’une œuvre singulière, d’une brutalité fauve non dénuée d’humour (les vents se répondant et se moquant les uns les autres dans la première partie de l’œuvre), la magie rieuse du clavecin, l’élasticité des pizzicati des cordes, la noblesse feinte du cor, etc.), mais aussi la poésie et le lyrisme, les bruissements de la nature, notamment dans le passage où le compositeur donne une liberté brillamment contrôlée aux musiciens de l’ensemble… En moins de sept minutes, Lutoslawski donne à entendre l’univers entier. Les musiciens de Court-Circuit, dirigés avec précision par Jean Deroyer, qui a su laisser suffisamment la bride sur le cou à l’ensemble, ont pu donner cette impression de liberté conduisant à la lisière de la cacophonie sans jamais y sombrer. Un final de concert symptomatique des impressionnantes qualités de cet ensemble.
Mais c’est une autre partition polonaise qui créait l’événement de ce concert, cadre de sa première audition mondiale. Court-Circuit a en effet commandé une œuvre nouvelle à la compositrice polonaise Elzbieta Sikora à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire. Née à Lwów le 20 octobre 1943, vivant à Paris depuis 1981, élève de Tadeusz Baird au Conservatoire de Varsovie avant d’étudier à Paris auprès de Pierre Schaeffer, François Bayle et Betsy Jolas, auteur de plus d’une cinquantaine d’œuvres dont trois opéras, le plus connu étant Madame Curie (1) créé à Paris le 15 novembre 2011, à l’UNESCO, Elzbieta Sikora a réalisé avec Twilling – Sonosphère 1 un concerto en trois mouvements s’enchaînant pour hautbois, quintette à cordes avec contrebasse et électronique live. L’écriture est virtuose, surtout celle de l’instrument soliste, qui use de tous les modes de jeu, au point de prendre parfois la tournure d’un véritable catalogue, tandis que la partie électronique, exécutée auKarlax® (2) par Tom Mays, est à la fois discrète et complémentaire, jouant de façon onirique de la résonance de l’instrument soliste – dextrement tenu par Hélène Devilleneuve – dont on n’entend guère le jeu de clefs qui forme pourtant une sorte de pont entre les parties de l’œuvre. Une œuvre qu’il conviendrait de réécouter tant on y décèle de potentiel mais qui est apparue à la première écoute un peu redondante dans un certain nombre de passages.
Par Bruno Serrou
Le 7 septembre 2013