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Le premier véritable opéra d’aujourd’hui

Le chef-d’œuvre ne vient jamais où on l’attend.

Dire que la création de Second Woman était attendue relèverait du mensonge, voire de l’hypocrisie. Les raisons en sont nombreuses. L’originalité du lieu tout d’abord : le Théâtre des Bouffes du Nord est peu rompu aux exécutions lyriques, hormis celles concoctées par l’ancien maitre des lieux, Peter Brook.

Le compositeur ensuite : Frédéric Verrières, formé au Conservatoire de Paris, s’était récemment fait connaître dans le petit milieu de la musique contemporaine par des retards de partition et ressemblait de plus en plus à un héros de Jorge Luis Borges essayant de réécrire perpétuellement les anciennes partitions des maîtres.

L’argument enfin : le livret de Bastien Gallet promettait une relecture du film de John Cassavetes, Opening Night, mêlée à un canevas pirandellien où filtraient des échos à des musiques de Debussy, Purcell, Donizetti, doublé d’une réflexion sur le meilleur endroit où placer sa voix pour une chanteuse.

The Second Woman

Surprise ! Second Woman est un spectacle d’une lisibilité absolue et d’une si franche nouveauté (pour les canons du milieu lyrique) qu’il fait entrer la musique contemporaine, au même titre que le théâtre et la danse, de plein pied dans le monde culturel d’aujourd’hui.

La réussite doit autant à Frédéric Verrières qu’à Bastien Gallet, qui réussit à créer les conditions de l’improvisation sans jamais abdiquer une véritable action dramatique. S’ouvrant sur un chant slave, l’opéra se divise en effet en trois parties distinctes : le premier acte est la répétition d’un opéra avec piano, le deuxième la répétition avec orchestre, le troisième acte l’opéra à proprement parler.

C’est que la réflexion pirandellienne promise n’a ici rien de figé : les chanteurs s’appellent par leurs véritables prénoms, un drôle de metteur en scène (Philippe Smith) intervient depuis la salle et les actes tissent entre eux de pénétrants échos, qui font que si on ne comprend pas tout ce qu’il se passe sur la scène, l’œil et l’oreille, eux, ne sont jamais perdus. Et en plus, on rit !

Ce qu’il y a de plus touchant dans Second Woman, c’est le décloisonnement musical voulu par le compositeur. On se souvient que Gérard Pesson avait tenté, il y a quelques années au Châtelet, la rencontre entre des chanteurs lyriques et des chanteurs de la Star Academy (et encore avait-elle été imposée par le directeur du Châtelet) avec une incompréhensible parcimonie.

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La partie instrumentale est à l’avenant : techno-pop doublée par un ensemble instrumental, musiques bruitées à la Lachenmann, rhombes pessoniennes, clusters de piano… Second Woman réussit la rencontre inespérée de deux mondes et invite à l’ouverture et à l’écoute.

On nous reprochera sans doute un peu trop d’enthousiasme, d’autant que l’opéra tient grâce à son formidable esprit d’équipe (la mise en scène de Guillaume Vincent est en totale adéquation avec le formidable ensemble Court Circuit dirigé par Jean Deroyer) et surtout grâce à son extraordinaire troupe de chanteurs comédiens : Elizabeth Callao (en cantatrice menacée), Jean Sébastien Bou (irrésistible en baryton maladroit), Jeanne Cherhal (à l’aise dans tous les registres) et Marie-Ève Munger (lumineuse et malaisante colorature).

Loin des essais académiques et des paraboles stériles, voilà le courant d’air frais dont l’opéra et la musique contemporaine avait besoin !

Par Laurent VILAREM
Le 3 mai 2011

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